BAKER, Chris, Dhiravat na Pombejra, KRAAN, Alfons van der, WYATT, David K., Van Vliet’s Siam, Silkworm Books, Bangkok, 2005.
Cette récente œuvre sur Jeremias van Vliet vient colmater le manque de publications révisées et actualisées du travail de cet auteur hollandais. Les travaux de van Vliet sont les plus détaillés écrits avant le XIXe siècle, quoiqu’il existe des rapports antérieurs plus anciens (pourtant moins complets), ceux des Chinois, des Portugais et des Hollandais[1]. Van Vliet’s Siam nous est présenté par quatre auteurs spécialistes, chacun ayant déjà publié des œuvres de référence sur l’histoire du Siam[2].
Mais tout d’abord il est utile de présenter Jeremias van Vliet. Né à Schiedam (Pays Bas) aux environs de 1602, van Vliet était un des plus jeunes de cinq frères. En 1628 il décide de suivre dans les pas de ses deux frères aînés et rejoint la VOC (Compagnie Hollandaise des Indes Orientales). Au sein de la VOC, van Vliet monte rapidement dans l’hiérarchie, obtenant des postes de responsabilité. Ainsi, en janvier 1633 il est promu assistant du « Senior Merchant » Joost Schouten[3], le directeur de la Compagnie au Siam. Profitant des absences fréquentes de Schouten à Batavia, van Vliet finira par s’occuper lui-même des affaires commerciales hollandaises à Ayutthaya.
C’est dans ce contexte qu’il développe ses écrits, avec comme objectifs la sauvegarde de sa carrière, voire l’espoir d’une promotion. Dans le « Picnic Incident », un extrait de son journal intime, sont expliqués les événements qui marquent Ayutthaya en décembre 1636. Par la suite, van Vliet sera obligé de partir à Batavia afin de se justifier devant le Directeur Général de la VOC, van Diemen. Celui-ci croyait que van Vliet avait mal résolu la crise générée par l’incident dit « du pique-nique ». C’est donc à Batavia que van Vliet écrit la Description du Royaume du Siam (1638)[4]. Aux alentours de 1640, van Vliet compose la « Short History of the Kings of Siam », plus connue comme « Chronicle ». A la fin de cette même année, van Vliet écrit le « Historical Account of King Prasat Thong », sur le souverain siamois régnant à l’époque.
Nous pouvons emprunter à l’œuvre Van Vliet’s Siam des hypothèses, voire des éléments de conclusion, concernant les caractéristiques de la présence portugaise à Ayutthaya.
D’abord il nous semble exister une division de l’espace très clairement définie et délimitée : les Portugais occupaient un terrain au sud de la ville d’Ayutthaya, terrain qui leur a été conféré à l’arrivée au Siam[5]. Dans ce territoire se construit au fur et à mesure une communauté luso-thai, pleinement encadrée par l’organisation sociale thai, reposant sur l’autorité d’un Okphra.[6] Ce que nous amène à une autre question : le métissage.
On trouve tout au long des textes de van Vliet des références aux Portugais métis. En effet, le métissage est une particularité de la présence portugaise en Asie. Dans le cas d’Ayutthaya, il se peut qu’elle soit la raison de l’établissement de longue durée des Portugais, contrairement à ce qui a pu arriver aux autres implantations européennes. Les métis tenaient un rôle central dans le développement des relations diplomatiques thai avec les étrangers (surtout européens). Ils servaient d’interprètes, charge très valorisée par van Vliet. L’importance des interprètes issues de la communauté luso-thai peut aussi être expliquée par la perception du Portugais comme lingua franca partout dans le Sud-est asiatique. En Thaïlande, ce fait peut être observé jusqu’au XVIIIe siècle.
Les métis Portugais intégraient souvent les armés des rois du Siam et d’autres royaumes sud-est asiatiques (par exemple le Pegu et le Cambodge). Van Vliet met en évidence leur rôle au sein de l’armée, sans pourtant expliquer quelles étaient leurs fonctions exactes. Les marchands portugais sont cités par van Vliet pour démontrer le déclin de leur position. L’auteur hollandais valorise à plusieurs reprises les succès de la VOC en les mettant en opposition avec les pertes subies par les marchands lusitains.
Il y a une autre catégorie de portugais présents à Ayutthaya, or rarement citée par van Vliet, celle des religieux. Il s’agit peut-être d’une indifférence de la part des directeurs de la VOC en Ayutthaya par rapport aux questions religieuses. En effet, celles-ci n’influençaient ni sur les profits de la VOC ni sur ses résultats commerciaux.
En résumé, cette récente œuvre sur les écrits de Jeremias van Vliet apporte des nouvelles données sur la présence hollandaise au Siam et, à la suite d’une analyse approfondie, des informations précieuses sur la présence portugaise en Ayutthaya. C’est un effort louable qu’entreprennent les auteurs ; celui de restituer à van Vliet la place centrale dans l’histoire siamoise du XVIIe siècle qui lui revient.
[1] “There are some shorter descriptions from earlier dates by Chinese, Portuguese, and Dutch (…). But the works of Jeremias van Vliet are both the earliest of any detail, and indeed the most comprehensive available in any period before the 19th century.”, Van Vliet’s Siam, p. 1.
[2] Chis Baker est le co-auteur de Thailand: Economy and Politics. Dhiravat na Pombejra est spécialiste de l’histoire du Siam au XVIIe siècle et s’intéresse plus particulièrement à la présence hollandaise au Siam et a publié, entre autres, A Political History of Siam under the Prasatthong Dynasty, Ph.D. thesis, SOAS, University of London, 1984. Alfons van der Kraan est professeur à la School of Economics à l’Université de la Nouvelle Angleterre en Australie et est l’auteur de plusieurs publications sur la VOC. David K. Wyatt a publié la réputée œuvre, Thailand: A Short History, Yale University Press, London, 1984.
[3] Schouten est l’auteur d’une autre œuvre que décrit aussi le royaume du Siam : CARON & SCHOUTEN, A True description on the Mighty Kingdoms of Japan & Siam [1636], ed. Charles BOXER, N. Israel Keizersgracht Amsterdam, Da Capo Press New York, 1971.
[4] D’après Chris Baker, “Van Vliet wrote the Description to save his career. (…) The Description is thus partly an attempt to explain how the Picnic Incident happened and why Van Vliet handled it the way he did. (…) Van Vliet was not only exculpating his past actions, but also hustling (successfully) for a promotion. To this end, he offered his boss a vision of what the Dutch might achieve in Siam with a little ambition.”, Van Vliet’s Siam, p. 91.
[5] Cf. Van Vliet’s Siam, p. 15.
[6] Okphra est l’avant-dernière catégorie du ranking de la noblesse thai.
Rita Bernardes de Carvalho