Neandertal

La longue survie de l'homme de Neandertal


On l'avait enterré un peu vite. Ou, en tout cas, un peu tôt. Réputé avoir disparu voilà 30 000 à 35 000 ans, supplanté par Homo sapiens, l'homme de Neandertal (Homo neanderthalensis) a, en réalité, survécu bien plus longtemps. Les datations de deux couches stratigraphiques de la grotte de Gorham (Gibraltar), publiées dans la revue Nature du jeudi 14 septembre, montrent en effet que des Néandertaliens occupaient le site il y a 28 000 ans, voire il y a seulement 24 000 ans. Les couches étudiées ne recèlent pas de fossiles humains, mais une industrie lithique "moustérienne", caractéristique des techniques de taille utilisées par Homo neanderthalensis.

L'équipe internationale qui a mené les excavations précise que le niveau d'occupation le plus récent contient également des industries lithiques propres à l'homme moderne. Signe que le site a, sans doute, été alternativement occupé par les deux espèces pendant plusieurs milliers d'années.

Cependant, comme le rappelle le paléoanthropologue Pascal Picq, maître de conférences au Collège de France, "ces tout derniers Néandertaliens ne montrent pas de signes d'acculturation, comme c'est le cas sur certains sites tardifs fouillés en France et dans le nord de l'Espagne". Cette "acculturation" se traduit par une évolution des techniques de Neandertal sous l'influence des pratiques de son cousin Cro-Magnon.

A Gorham, rien de tout cela. Les auteurs des fouilles interprètent cette absence d'acculturation comme la preuve de contacts limités entre les deux populations. Selon M. Picq, "le sud de la péninsule Ibérique a pu constituer un "refuge" dans lequel les conditions écologiques étaient très adaptées aux stratégies de survie et à la culture des Néandertaliens". Dans cette ultime place-forte à l'extrême sud de l'Europe, sapiens et neanderthalensis auraient ainsi pu faire jeu égal, sans que les pratiques culturelles du premier prennent le pas sur celles du second.

L'ENFANT DE LAGAR VELHO

Les hommes de Neandertal sont les descendants d'hominidés sortis d'Afrique il y a environ 600 000 ans et dont l'aire de répartition géographique s'est étendue du Moyen-Orient à l'Europe occidentale. La majorité des scientifiques s'accordent aujourd'hui pour dire qu'ils forment une espèce distincte de l'homme moderne. La question des interactions entre ces deux humanités est au centre de nombreuses discussions.

On sait que les deux espèces ont eu des contacts. Se sont-elles combattues ? Se sont-elles, au contraire, mêlées ? Et, si tel est le cas, demeure-t-il dans le génome des Européens des traces de Neandertal ?

Les nouvelles datations publiées par Nature relancent le débat. Et, en particulier, celui qui porte sur l'enfant de Lagar Velho. Sur ce site portugais a été exhumé, en 1998, le squelette d'un enfant daté de 24 500 ans, présentant des traits anatomiques empruntés aux deux espèces. "Jusqu'à présent, l'une des principales objections formulées contre l'hypothèse que cet enfant fût un hybride - outre sa morphologie juvénile qui rend difficile de tirer des conclusions sur la forme adulte - était sa datation", expliquent Eric Delson, du Muséum d'histoire naturelle de New York, et Katerina Harvati, de l'Institut Max-Planck de Leipzig, dans un commentaire publié par la revue scientifique britannique. L'enfant n'aurait certes pas pu être conçu par un membre d'une espèce disparue depuis plusieurs millénaires... Mais, les nouvelles datations invalident cette objection et rendent du crédit aux tenants de l'hybridation.

Ceux-ci ont longtemps été contredits par la génétique. Les travaux sur les marqueurs transmis de père en fils (chromosome Y) et de mère en fille (ADN mitochondrial) ont d'abord suggéré que sapiens avait rapidement remplacé neanderthalensis. Sans que celui-ci ait été "absorbé" par les nouveaux venus (Le Monde du 8 janvier 2005).

Mais, là encore, les certitudes vacillent. Des travaux publiés en juillet dans la revue PLoS Genetics et portant sur l'étude du polymorphisme de 135 gènes montrent des différences récurrentes entre populations européennes et ouest-africaines. Le modèle utilisé par les chercheurs conclut qu'une contribution de 5 % de Neandertal au patrimoine génétique européen actuel est en mesure d'expliquer la présence des motifs génétiques typiquement européens.

Les différences relevées pourraient certes être expliquées autrement : pression environnementale forte, sélection et évolution rapide en Europe, modèle statistique imparfait, etc. "Nos travaux ne prouvent pas définitivement qu'il y a eu hybridation entre Homo sapiens et l'homme de Neandertal, explique Vincent Plagnol, coauteur de ces travaux. Mais, ils laissent ouverte cette possibilité en invalidant l'idée que l'étude de marqueurs comme l'ADN mitochondrial peut, à elle seule, trancher la question."

Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 16.09.06, Le Monde

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